Le moins qu’on puisse dire est que l’athlétisme martiniquais et toutes ces Foyal Color Run, 5K, Lambi d’Or, Mad Électrik Run, connaissent des sorts contraires. Ces courses d’un genre nouveau ont, en effet, du succès, alors que notre athlé semble en bout de piste, ou presque. Pourquoi ?
Elle est bien loin, l’époque glorieuse des Herman Panzo, et autres Lucien Sainte-Rose, Max Morinière, Bruno Marie-Rose (record du monde du 4 x 100 en août 1991 avec Max Morinière, Daniel Sangouma, Jean-Charles Trouabal, Bruno Marie-Rose). Époque performante également des Emma Sulter, Rose-Aimée Bacoul, Liliane Gashet etc. qui, elles aussi, ont couru au niveau international. Comment expliquer cette évolution ?
Jusqu’aux années 60, les sportifs sont pluridisciplinaires, et certains champions le sont à la course, au saut en longueur, en hauteur, voire en natation. Cette polyvalence disparaît peu à peu, pour laisser place à des athlètes plus spécifiques. On se spécialise, et le sprint martiniquais connaît ses heures de gloire avec, notamment, les athlètes cités plus haut, succès d’autant plus remarquable que les infrastructures sont souvent modestes. Les collèges et lycées contribuent à la l’émergence des athlètes, avant que quelques clubs n’assurent le cheminement vers le haut niveau national puis international. Malgré son retard au niveau des équipements, cette période 70-90, est dorée.
Deux éléments provoquent une évolution. D’une part, le choix de l’éducation nationale d’inscrire le sport scolaire dans une logique de sensibilisation et de diversification. D’autre part, la hausse du prix des équipements sportifs que financent le Conseil Général (primaire, collèges) et le Conseil Régional (lycées). La pratique sportive en milieu scolaire est donc déterminée par le matériel disponible, tandis que les inspecteurs et enseignants traduisent les directives nationales en activités nouvelles. Non sans sexisme, certains soulignent que, parallèlement, la profession d’EPS se féminise. D’autres mettent en avant l’arrivée de profs-bermuda, toutes couleurs confondues, qui privilégient des activités en liaison à leur vision cocotier de la Martinique ; quelques-uns optent notamment pour l’ultimate-passe, dérivé du frisbee à la mode sur les plages.
Avec l’accélération de la révolution médiatique, nous devenons des spectateurs de la pratique des autres, ignorants du foot martiniquais, mais savants du Réal, Barça, et autres PSG. Banalisant notre production sportive, nous développons une relation mimétique aux gestes d’ailleurs. En même temps décentrés et égocentrés, voire « prosternés sur nous-mêmes », nous avons une relation singulière à l’autorité, à la discipline, chacun souhaitant celles-ci sur mesure et à sa convenance. Du fait de l’effort régulier qu’il exige, également de l’apprentissage patient qu’il demande, l’athlétisme peut donc paraître contraignant, et ce faisant ringard.
Phénomène social relativement récent, ces courses où l’on s’aligne avec des couleurs flashy et parfois même un look de mardi gras, appellent quelques remarques. Malgré une dimension ludique non négligeable, elles seraient des défis à soi-même. Et on y participerait pour mieux faire que la dernière fois, pour évacuer également le stress. On ne court plus forcément contre des concurrents, et la logique compétitive qui prévaut dans l’athlétisme, semble ne pas opérer ici, ou le fait de manière différente. D’ailleurs on s’accorde à dire qu’il y a autant de vainqueurs que de participants. En franchissant la ligne d’arrivée, tout le monde a de ce fait gagné, le temps réalisé n’ayant de sens que par rapport à ses propres objectifs.
Les manifestations du type Foyal Color run, 5K, et autres Mad Électrik Run, sont conçues, promues, vendues, de manière marketing, ce bisness-sport s’assurant d’une grosse publicité sur les médias et les réseaux sociaux.
L’inscription donne droit au package, avec couleurs fortes, lunettes funs, et autres éléments qui singularisent les participants. On est ici dans une relation produit/client, le consommateur payant le prix en achetant son droit de participer. En retour, il s’attend à la conformité de la prestation qu’il achète. Derrière les organisateurs souvent jeunes, se trouvent des partenaires qui « communiquent » et enrichissent leur image ; bien des fois, ces derniers apportent un financement fiscalement déductible. En arrière-plan de ces manifestations, interviennent de « généreux donateurs » qui sont loin d’être totalement désintéressés.
Alain De Vassoigne et Louis-Georges PLACIDE
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